10 févr. 2008

coït littéraire



Tu lâches le livre de surprise. Il vient s'abattre sur le sol, comme la tartine de confiture, les pages écrasées, étouffées contre le parquet. Et pourtant, ce n'est pas dans ton habitude de te laisser surprendre. Tu connais chaque pore de sa peau, chaque souffle de sa bouche et sa pensée qui va avec. Il est 15h00, la bibliothèque est déserte, tous s'étalent, transpirants, sur le sable, sous un soleil pressant désireux de faire tomber les maillots et de dégager les nuques rosies. Tu as cherché le frais au milieu de ces bouquins usés, vieillis, bien trop souvent possédés, forcés par ceux qui ne méritaient pas d'en tourner les pages. Alors peut-être que ce n'est pas la faute de Mendès si tu sens la goutte de sueur glisser le long de ton échine et disparaître sur le chemin de ton con, peut-être que, tout simplement, tu l'as senti, avant même de le pressentir. "Je chasse pour le plaisir de traquer ma proie, elle-même ne m'intéresse pas, puisqu'elle ne me surprend pas. J'invente moi-même le scénario pour deux". Le scripte a été modifié. Comme la brise légère qui fait s'éloigner les baigneurs de la plage et fait tourner les pages des livres laissés à l'abandon, l'air est devenu chaud et humide entre les étagères; un temps lourd qui s'immisce dans ta poitrine et te fait réprimer un gémissement. On ne lutte pas contre le temps. Avant même le premier acte, tu connais le ton. Tu as rougi, une sensation bizarre qu'il est doux de se réapproprier, tu as rougi, violée par le temps. Mais ni la bibliothécaire ni les quelques habitués filiformes ne se préoccupent de percer ce nouveau secret qui est désormais le tien. C'est ta robe, mise à mal par les caprices de la météo, qui te trahit, accueille le vent et l'intrigue de ton histoire. Et par un enchaînement dramatique, le vent accueille l'oeil, qui lui-même laisse place, poliment, à la main. Tu lâches le livre de surprise. Il vient s'abattre sur le sol, comme la tartine de confiture, les pages écrasées, étouffées contre le parquet. Si l'averse avait commencé la première, tu aurais pu prévoir. Mais c'est toi, frêle et femme sous ses doigts, qui devient pluie mouille et cris. Il est 17h00, le livre, au sol, se perd entre les volumes. Aucun vainqueur, chacun a étendu son terrain de chasse: la couverture rouge connaît la froideur du parquet grinçant; tu gis, haletante à l'étroit sur l'étagère, une jambe touchant terre, ouverte, rassasiée de cette surprise longtemps attendue jamais désirée. Goutte-à-goutte, la trace de l'homme frappe le livre, l'imprègne, et vient rehausser l'odeur de lutte et de foutre qui emplit l'atmosphère, mêlant ton histoire à celle des oeuvres classées, silencieuses et pensantes.

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