24 nov. 2008

Archanges


Du haut de la falaise, ils contemplent la mer. La couleur c'est le gris, la chanson c'est la pluie. Mais, sous leurs K-way, ils ne craignent ni le vent, ni la chiure de mouette, et certainement pas de tomber de ce gros rocher qu'ils surplombent. Il l'a prise dans ses bras, la protégeant du froid. Ses cheveux, soleil de cette aquarelle, viennent lui cacher la vue. Et pourtant ! L'odeur des fruits, du sel, le goût des galets. Point n'est besoin d'ouvrir les yeux quand une nuque peut transporter les vacances, déplacer leur romance, de Paris à la Normandie, d'un Brandy jusqu'au lit. Les corps recroquevillés, l'un dans l'autre, les joues qui s'embrassent, ils ont pris l'air pittoresque, glissant dans le tableau, s'aventurant dans ce décor figé. Une boucle jaune, un doigt bleu, mais leur couleur c'est le gris, leur chanson c'est la pluie.

18 nov. 2008

"Amour m'a tuée"


Sally Mann

Petit corps, si léger, si fragile, si pâle. A poser sur un comptoir, à bloquer dans un recoin, à faire tomber sur une chaise. Immobile,
s'éloigne dans l'horizon, imprécis, indistinct, invisible. Métaphore, la même qui gémit dans ton lit, celle qui mouille dans un cri. Une main agrippe, un souffle appelle, une cuisse tremble, un sexe hurle ; une lente agonie.

6 nov. 2008

L'amante


Allongée à plat ventre, elle contemple leur appartement. La porte vitrée est entrouverte et laisse entrer les embruns, le rire des passants, le murmure, presque indistinct, du Bonheur. Une simple petite culotte l'habille. Ses fesses ... Elle rit, un crayon dans la bouche, des idées plein la tête. L'homme fredonne derrière le bar, occupé de la tâche masculine qu'est devenu la cuisine. Le lit est recouvert de bouquins, de feuilles volantes. Quelques gribouillis finissent sur le drap. Sa conférence est pour demain. En attendant, elle a vue sur l'Atlantique et se prend pour la voisine de Marguerite Duras. Ils ne rejoindront Paris qu'au petit matin. Elle savoure chaque minute de ce quotidien, serait tentée de l'enfermer dans une de ces boîtes à farine. Il a contourné le bar, nu comme un ver sous le tablier. Sans un regard pour elle, il pousse le bouton de la chaîne hifi et se lance dans une danse frénétique "I miss you". A elle de rire devant ce clin d'oeil au passé, à la façon dont il l'a séduite, dont il la séduit toujours. Il s'est jeté sur elle, chiffonnant toutes ses notes, espérant la faire râler. Mais elle est déjà debout, et s'élance dans la cuisine. Coquine, féline, elle l'aguiche du regard, un doigt dans la casserole, un pied sur la chaise. Ils rient, ils jouent, ils s'aiment.
De ce bonheur de chaque instant passé, ils en tirent une incroyable jubilation, celle de vivre ensemble, de désirer toujours leur quotidien à deux. Ils s'embrassent à en perdre le souffle. Elle descend, le lèche, passe son sexe sur ses lèvres, lui mouille le gland, la queue, les couilles. Elle empoigne sa bite, le branle de plus en plus vite, lubrifiant la peau de sa salive. Le repas bout dans la casserole, les coeurs s'emballent, la température augmente. Ils sont de nouveau dans le lit. Faire l'amour leur sert de nourriture. Il la prend, dans la charmante position du missionnaire, elle, toute entière offerte. Les yeux dans les yeux, ils définissent leur monde, redéfinissent leur amour, imbriqués l'un dans l'autre, ne formant qu'une seule unité, aux particules
dissemblables. Quand elle jouit, il sait qu'elle ne sera jamais qu'à lui, s'attribuant ses hurlements, la découvrant liquide contre son bas-ventre. Posséder ce petit corps, cette femme, sa femme, frêle et fragile, ressentir à chaque instant l'emprise qu'elle a sur lui. L'unique, l'amante.

4 nov. 2008

Cerisier à Chemisier


J'attends ta venue, chaque fin d'été. Te souviens tu ? Tu faisais plier mes branches, frémir mes feuilles, grossir mes fruits. Mais tu ne viens plus. Et les cerises ne rougissent plus, ni de plaisir, ni de jalousie, ni de honte. Pourtant je t'ai choyée, je t'ai prise sous mon feuillage, j'ai fait ployer sur toi les plus beaux de mes enfants. J'ai recueilli tes songes, participé à tes états de langueur quand dans un soupir tu fermais les yeux. Mon tronc a rafraîchi ton dos, relaxé ta nuque, fait face à la sueur de l'été. Mes racines, elles, ont surélevé tes jambes, calé tes fesses. Et pourtant, je n'ai pas vibré, j'ai retenu mes feuilles de se laisser aller au frémissement que provoquait ta présence. Tu as puisé ma force, embrassé mes branche, mordu dans le rouge juteux. Et la Nature Humaine trouvait son accomplissement dans ces moments de don, d'abandon candide. Mon Ingénue, l'été approchait de sa fin, j'ai pensé que tu prenais froid. Tu n'avais plus ces robes légères, tu nejetais plus tes sandales au loin dans l'herbe, je n'ai plus jamais vu ton sein quand, rêveuse, tu laissais respirer ton corps. Ce jour-là, tu portais un corset, un chemisier, des barrières infranchissables pour un arbre, aussi amoureux qu'il soit. Alors, j'ai fait tomber une de mes cerises entre les deux fruits que la terre ne m'ait jamais permis d'adorer. Toi qui avait serré mon tronc, qui venait dés l'aube te mouiller de ma rosée, toi qui suçait mes grappes, jamais tu n'es revenue. Rouge de colère, de pudeur nouvelle, tu as maudit l'insouciance de mon geste et tourné, provocante, ta croupe à ma face impassible.


Photos de David Bellemere