28 janv. 2009

Omission


Doucement, il l'a prise dans ses bras, il l'enferme contre son corps. Il sent qu'elle a peur, il sent l'angoisse, un mal-être qu'il ne sait pas comment guérir ni même expliquer. Elle est loin et il devient jaloux de ces cauchemars qu'elle oublie au matin. Il est le seul témoin des tourments de ce petit corps et contre les révoltes de l'inconscient il ne peut rien. Sur son torse, elle pleure. Elle sait qu'elle a mal, elle ne sait pas pourquoi. Lui, il est là, tout le temps, c'est gentil mais elle est déçue, immanquablement. Elle aura rêvé d'une main sur sa nuque et d'une peau, plus chaude que celle qui la surprend au réveil et à laquelle elle ne s'habitue pas. Elle respire ce corps étranger, les bruits et les meubles ne sont pas les siens. Deux ans qu'elle est malade, deux ans qu'il l'aime, deux ans à voir qu'il la perd un peu plus chaque matin. Mais déjà les réalités affluent comme autant de vérités salvatrices.
Et l'Oublie peu à peu se fait, jusqu'à la prochaine nuit.

27 janv. 2009

Un roi sans divertissement


Cours de photographie. En noir et blanc. Il a fixé un drap sur chaque mur. La pièce est blanche, neutre, idéale pour prendre la pose. Bien sûr, elle arrive dans un shorty rouge, certes en soie, certes joli mais pas du tout dans les règles. Alors lui, en Charlot moderne, il connote un peu. La tache rouge brille et gesticule sous les flashs. Comme prévu, le noir de sa dentelle, celui de son gilet et le blanc de sa peau, celui de sa chemise s'impriment ou s'effacent sur le fond limpide. L'image est irréelle. Et ce bout de lingerie, rose dans la lumière, violet derrière l'objectif, il harangue, il saigne et mélange le tout dans une sorte d'immobilité mouvante. Elle s'est terrée dans un coin, recroquevillée de manière à ce que sexe, short et bouche ne fassent plus qu'un. Sur son trépied, l'appareil a toussé et mitraille l'amant qui rampe vers la scène du sang sur la neige.

25 janv. 2009

Etat des lieux


Quand il rentre, il se figure tout en plus chouette. Elle est là, déjà en pyjama, lui saute dans les bras et entonne le "Babyyy" d'une chanson anglaise ou américaine, méconnaissable.
Quand elle rentre, austère, sexy dans son deux-pièces cintré, elle toise la cuisine de derrière ses lunettes, lorgne la machine à laver, pose le sac Comptoir des Cotonniers et renonce. Pas avant l'homme, le Martini, la cigarette, la deuxième, le deuxième.
Il raffole de leurs habitudes, elle joue à les bousculer. Avec elle, il a forcé l'originalité. Ses tableaux s'adaptent à leur nouvelle place, un peu n'importe où. Quand il lui dit que ses toiles justifient les traces d'aquarelle et de fusain sur les murs, elle fait la moue. C'est pour l'esthétique, pour son esthétique plus particulièrement. Elle veut du vieux, de l'artiste, du désuet, du sens. Son homme, son talent et ces murs c'est sa fierté, sa carte d'identité. Elle a vu Vicky Christina Barcelona, elle a dit C'est comme chez moi. Je devais juste lui ramener le soleil dont l'absence à Paris attristait les couleurs de ma peinture soit-disant.

Quand il rentre, elle est parfois à la place de la commode elle-même à la place du canapé qui lui a été repoussé dans l'entrée. Elle lui crie Devine ! pour qu'il l'imagine et parce qu'elle trouve l'inspiration dans les tenues qu'elle porte. Souvent alors il la peint en train de peindre parce qu'elle réunit le naturel et l'innocence dévoilée qu'aucune n'a su lui suggérer. Elle a sa salopette sur les fesses, le chapeau haut de forme du jour de l'an et tout le corps - tissu compris - est recouvert de peinture jaune. Femme à demi-nue, celle de la toile elle ne l'est évidemment pas. Et pendant qu'il croque aussi rapidement qu'elle bouge, elle sort de la pièce, laisse quelques traces dorées sur son passage et revient, une chemise Prada nouée à la taille, cheveux et sexe à l'air. Elle préfère pour les ombres. La femme du tableau sera plus sombre puisque je suis toute blanche.
Quand elle rentre, il peut être n'importe où, elle le cherche. Au micro-ondes, aux WC, au salon, endormi, rarement absent. Parfois il dessine l'ennui, souvent l'attente. Parfois il paye un modèle, souvent ils font l'amour.

13 janv. 2009

Un bain, my Lord ?


Bientôt ne me restera que la certitude que je t'aime sans qu'aucun souvenir ne puisse réconforter cette idée. Il est encore temps que j'enlève ma petite culotte pour penser à toi, que je dénude tout mon moi en rêvant de toi. Un bain, my Lord ? Je fredonne, je suis trop grande pour entrer toute entière. Alors, je redresse, plie, écarte. Depuis longtemps, tu as cessé de déverser le flacon de mousse dans l'eau et, en transparence, mon corps se reflète, luisant, lubrifiant. Mes lèvres ont frémit, l'eau s'est troublée. Et mes flashs, en veux-tu ? Dans mon dos, je te sens qui me fixes, tu regardes ma main disparaître entre mes jambes, tu m'écoutes me caresser. Un autre ? Souvent, je bois la tasse à la recherche de ta queue, je joue, ma langue est celle d'une petite chatte, je me noie et tu me contemples, fumes une cigarette, guides ma tête. Encore ? A l'agonie, les seins contre le carrelage, les pieds dans l'eau, je tente de m'échapper et tes doigts ne cessent de me fouiller et je mouille dans cette piscine que je ne définis plus, le froid du mur, la chaleur dans mes jambes, la fixité de mon esprit, le mouvement de ta main, mes gémissements, mon râle, ton silence admiratif et égoïste.
Je ris, le canard s'en étonne et vient approfondir sa réflexion dans les renfoncements où je le mène. Des instantanés en perspective ...

5 janv. 2009

Indifférence


Immobile derrière le carreau, elle te regarde t'éloigner. Une femme brune dans un long manteau noir a pris la même pose qu'elle, là-bas, au coin de la rue. C'est vers elle que tu te diriges à petites foulées ; celle qui rit. C'était il y a deux ans. A la fenêtre, elle fume, et retrouve la même posture que celle prise en ces temps perdus. Elle est indéniablement la même, même sans toi. Dans son dos, elle entend l'homme claquer la porte. Lui aussi remonte la rue, se retourne, "à demain". Et il reviendra comme les autres et tant qu'il identifiera la jouissance à ce quotidien déguisé, à cette femme cuirassée qui guette quelque mystère, le nez collé contre la vitre. Tu étais parti te jeter dans la normalité avec un entrain, une ferveur telle qu'elle en est jalouse, encore aujourd'hui. Et bientôt, tous sans exception avaient remonté la rue en courant vers l'inconnue et la promesse d'un lendemain commun. Dans un rire macabre, elle se contredit. Tous étaient revenus, effrayés par les cuisses ridées de leur femme, horrifiés à l'idée de râler le même nom inlassablement, pris d'un désir de jeunesse et de soumission légère que le mariage ne savait enfanter. Tous sauf toi. Une après-midi qu'elle répondait au téléphone à l'un de ses clients, tu fis irruption dans la chambre, dépité et nu. Tu as hurlé comme une bête, t'es précipité sur elle et l'as enculée sans précédent, pleurant comme un enfant. Ce fût la première fois qu'on la blessa. Le jour suivant, elle remarquait la femme et le bruit du moteur, nerveux tous les deux. Le jour suivant, elle sut que tu l'avais aimée mais, flanqué derrière elle, tu récitais un texte d'adieux, apprit par coeur, répété des centaines de fois. La Superbe Indifférence s'immisça entre vous et elle t'en veut d'avoir usé d'un procédé aussi commun qui t'as fait oublier le chemin de ses bras.
Dos à la fenêtre, elle salue son nouveau patient et sourit à la bouteille de champagne. Il lui faut être grise ce soir. De son mégot de cigarette, elle perce le journal. Le papier noirci et le feu réduit en cendres la page des faits d'hiver sur laquelle elle a lu que tu es mort hier.