8 déc. 2008

Lorsque Mienne est Tienne


Elle papillonnait de groupe en groupe, échangeait deux ou trois mots avec l'un, riait aux éclats en compagnie de l'autre. Elle portait une petite robe noire, et sautillait vers chaque personne qu'elle reconnaissait, inconsciente de l'effet qu'elle pouvait produire sur lui, et sur d'autres d'ailleurs. A deux reprises il avait aperçu le petit bout de dentelle qui lui cachait à peine l'entre-jambes et s'était mordu la lèvre d'envie. Elle revenait régulièrement se lover sous son épaule, lui déposait un baiser sur la joue et écoutait, docile et câline, la conversation jusqu'à ce qu'un nouvel invité aguiche sa curiosité. Elle disparaissait alors au milieu des voix tonitruantes et des effluves de cigarettes. Pourquoi tant de monde ? Pourquoi tous ces hommes agglutinés autour de sa femme ? Le vin lui montait à la tête et, si elle n'était revenue à cet instant, il aurait sans doute cédé au malaise qui lui martelait les tempes et lui brouillait maintenant la vue. Oh ! Ce besoin de la presser, de l'étouffer presque, de cacher celle qui flattait son orgueil et faisait sa fierté ! Mais, devant ses yeux de chatte apeurée, il afficha un large sourire et chassa le trouble de son esprit. Pour son dernier soir, il devait être à la hauteur et ne rien négliger de ce qu'elle attendait. Mais à la réflexion, il s'en voulait d'avoir monté cette mascarade, trop lâche pour assumer un ultime tête-à-tête. Pourtant, ils avaient tous deux une préférence pour leurs soirées en solitaires.
Une petite main se glissa dans la sienne et coupa court à son raisonnement. Elle ne pouvait jamais rester loin de lui très longtemps. Sa paume était froide et ses doigts tremblèrent légèrement. Quand il l'embrassa pour éviter tout questionnement, il se demanda comment il parvenait à lui mentir avec un tel aplomb. Les rires fusèrent du balcon où étaient réunis quelques amis de longue date. A eux non plus il n'avait rien dit. Peut-être parce que seuls comptaient ces derniers instants passés ensemble. Il vida son verre d'un trait et souleva sa femme dans les airs. Son cri strident fit rire l'assemblée et elle resta accrochée à son cou, les jambes entourant sa taille, la jupe relevée sur un petit bout de fesse qu'il s'empressa de masquer. Demain, il serait temps. Cette nuit encore, il lui ferait l'amour, les invités partis, au milieu des confettis. Il enfouit son visage dans le cou parfumé et commença une valse entre grotesque et sublime, sa partenaire sur le ventre à laquelle il prêtait ses
jambes. L'air de musique étouffait sous les discussions quand il sortit de sa torpeur, scotchés qu'ils étaient l'un dans l'autre. Il lui fut désagréable de constater qu'il était tôt et que personne ne s'en irait avant deux bonnes heures. Et, comme si elle avait ressentit le même malaise ou la même difficulté à ne pas être deux, elle mêla ses doigts aux siens, mit les clefs dans la serrure, s'empara d'une part de moelleux au chocolat, et grimpa l'escalier. Maintenant qu'ils n'étaient de nouveau que deux, il prit peur qu'elle ne sonde son âme, qu'elle y trouve le drame. Le bourdonnement s'insinua dans sa tête et c'est dans une semi-conscience qu'il sentit ses lèvres sur son front moite. Sur le matelas, il sombra dans un sommeil de plomb, interdisant à la fièvre de s'installer.
Il surprit les rayons du soleil à travers ses paupières et, instinctivement, bougea les extrémités de ses membres. Cristallin, le rire de sa femme lui fit ouvrir les yeux. Malgré les cernes qui marquaient son visage, elle semblait absorbée dans la contemplation d'un nid sur la branche du voisin d'en face. A la fraîcheur qui le surprit en s'éveillant il sut qu'elle avait dormi sur lui. Dans la chambre régnait un désordre surprenant, preuve d'une lutte acharnée qu'elle avait menée, mais contre qui ? Pourtant, jusqu'aux vieux meubles, tout lui sembla plus beau que la veille, ses symptômes avaient disparu. Il entendait le piaillement des oisillons par la fenêtre ouverte et rien ni personne ne fut là pour empêcher le sourire de se dessiner sur ses lèvres. Qu'avait-elle fait qu'un médecin ne puisse entreprendre ? Alors, comme si elle lisait dans ses pensées, elle lui répondit :"Si tu me quittais, je serais tellement malheureuse que tu ne pourrais pas être heureux." Elle ne s'était pas détournée du Dehors, allongée sur le ventre, la cambrure marquée, semblant remercier la vie qui s'étalait devant elle. Cette fois, il ne tenterait rien pour cacher sa nudité.

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