6 déc. 2008

Hommage à Catulle


C’en est fait, elle ne résiste plus ; de ce feu qui l’envahit elle ne se défend pas, capitule. Les yeux brillants, vides d’une détresse nouvelle, ouverts sur une profondeur sans âme, elle parcourt la pièce, impénétrable, irrémissible. Les lèvres sèches, gercées aux commissures, mortes de ne pas avoir su dire non, elle frémit, balbutie un faible remerciement. Le corps meurtri, saillant, le dessin admirable d’une côte, une omoplate, l’arrondi de son ventre tendu par l’alcool, les veines qui s’agitent, s’emballent, la drogue ne passe pas. Triomphale son entrée à Paris, fatale sa survie ! Ecrasée, nue et sans force la guerrière des bas-fonds parisiens ! Elle-même actrice de ses nouvelles érotiques, elle voit son imagination s’épuiser aujourd’hui, condamnée. Le sol est recouvert de livres, de feuilles volantes. Quelques gribouillis ont même pris la liberté de s’inscrire sur le drap. Elle aura eu l’audace d’aller à leur rencontre, ces Grands de la littérature, ceux qui refusent dorénavant de publier ses textes, ces hommes forts de leur pouvoir, ruinant sa vie, grinçant devant l’érotisme à présent usé de leur auteur. A la fenêtre, elle songe, véritable bête monstrueuse, et tourne, provocante, sa croupe au regard de l’homme impassible. Pour un peu, elle lui cracherait à la figure toutes les ignominies qui la rongent : ces hommes qui possèdent, la dépendance et la soif qu’ils leur insufflent, frêles et dangereuses créatures qu’elles deviennent, incapables sans eux de procréer. Mais elle sait que la rencontre, cette fois, sera toute autre, que cette fois encore, elle signera le contrat. Pourquoi la faire attendre ? Elle a rendez-vous.

De rage, elle arrache le papier peint. Ses ongles laissent la trace de griffures, comme sur un dos, comme dans une chair. Détruite, lassée de cet homme qui l’observe sans bruit, depuis des jours, reflet de ses échecs présents, elle le substitue pour un instant à la peinture de ce mur. Imposant, immobile et sombre, lui la laisse agir à sa guise. Sans détours, il se soumet à ses caresses, à ses paumes tendues, à ses serres doigtées. La pièce est vide, froide. Seul un piano à queue semble attendre son tour sur un tapis décrépi. Et elle, nue, elle savoure chaque instant dans ce néant poussiéreux. Le dos calé dans un coin, elle agrippe les deux pans de ses bras, accroupie, le corps en croix. Subitement possédé, son corps se précipite en avant et elle inhale – une seule inspiration – la fine poudre blanche tracée à même le sol. La tête rejetée en arrière, elle entrouvre la bouche, soupire, cherche à revivre, ressentir le sujet de ses romans, leurs duels passés, leur duo fané. Diaphane, elle est sangsue, plongée dans cette folie que lui accrédite son sexe. Elle a roulé en boule, se laisse baver sur le plancher, les yeux exorbités. Lui est toujours là, mannequin de cire qui la contemple les yeux fermés, un rictus prononcé au coin des lèvres. Déjà, il a commencé sa lente décomposition. Son agonie à elle ne fait que débuter et elle s’impatiente. Qu’attend- elle ? Elle a rendez-vous.

Mâle dans sa peau, elle enfonce la dague un peu plus profondément. La pointe de la lame, les bords affûtés scient la chair fraîche, bien vivante, pénètrent délicatement chaque tissu de son corps de femme. C'est bien mieux finalement, ce filet de sang dans le creux de son ventre, bien mieux que l’amour et la chaleur d’un homme, bien mieux ce silence que leurs cris, bien mieux ce gris blafard que leurs joues rosies de s’être aimés. Comparaison faite, les larmes viennent doucement se mêler au sang qui fuit, à la vie qui s'enfuit. Le carrelage accueille la fille perdue, éperdue, le regard noir, le ventre, le sexe, les mains, rouges. A cet endroit, ils auront fait l'amour, elle aura aussi glissé à terre, prise d'un spasme trop violent, rattrapée par ses bras si puissants. Jusqu'à présent, elle n'a pas connu ce froid, poignant. C'est amusant, elle ne sent plus la lame, et, si elle réfléchit, elle n'a plus senti grand- chose depuis que son odeur est partie, depuis qu’il est sorti de sa vie, la laissant seule face à ce cadavre pourrissant, à son présent décadent. Appuyée contre le mur, agrippée au pied de la table, elle jouit une dernière fois, hurlant leur amour passé, sa carrière abîmée, la souffrance de ces nuits sans lui, accessoirement la cause de cette marque rouge sur le sol.

Le matin la prendra, lovée contre le ventre de l’homme endormi, les yeux mi-clos souriant à celle qui lui a volé cette vie, sa source de création et de raison.

Enfin, la Mort lui tend la main.

1 commentaire:

Con_spiratrice a dit…

Suite à un problème technique, certains messages ont été supprimés. Mille excuses.