5 mai 2008

Esseulée

Sally Mann


Passée la porte, on rencontre immédiatement le sable. Les pieds enfouis, Anaïs contemple l'horizon. Il était temps de partir, d'échapper à la grisaille parisienne pour se réfugier ici, chez elle. Le tissu d'organdi qui lui sert de porte frôle, sous la brise matinale, ses épaules dénudées. Il fait déjà lourd. Ses orteils jouent avec un morceau de coquillage et, les mains dans l'embrasure, elle songe. Ce-ux qu'elle a quitté, ce-ux qu'elle a perdu, elle n'y pense plus. Seules ses mèches de cheveux s'agitent au gré du vent, caressent sa peau hâlée, s'immiscent sous le blanc de sa robe. Derrière elle, un homme dort sous la moustiquaire de tulle blanche elle aussi. Le drap jusqu'aux reins, il respire fort, allongé sur le ventre. Devant le soleil qui pointe, Anaïs devient translucide, ses pores se dilatent, et des gouttes de sueur viennent perler entre ses deux petits seins. Cette poitrine d'enfant, elle la couve, la chérit, la trouve parfaitement accordée à ses jambes longues et galbées, sa taille appuyée. Plus rien ne distingue cette jeune femme d'une adulte avertie que ces tétons roses qui frémissent aux caprices du vent. L'homme a bougé et viennent se mêler à la brise d'été des effluves de sa sueur à lui, de son corps endormi, des entrelacs de la nuit passée. Le sourire aux lèvres, grossies, humides de leurs baisers, Anaïs descend la colline jusqu'à la crique. D'un mouvement, elle resserre les épaules et fait glisser la robe à ses pieds. Les souvenirs affluent au contact de l'eau. Elle s'y enfonce comme lui l'a pénétrée, fouillée. Elle se laisse envahir, encercler comme lui s'est trouvé pris au piège entre ses jambes. Le rire d'Anaïs éclate, accuse les alentours et chasse la solitude. Le chien l'a rejoint dans l'eau, l'homme s'est réveillé et a passé la porte.

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